vendredi 21 octobre 2016

ITINERAIRE D’UN JEUNE ENTREPRENEUR ‘’TOGUE TEKI’’* une réalité bien sénégalaise’’

Des potentialités et des opportunités pour réussir, il en existe au Sénégal même si le taux de chômage est très élevé. Au moment où certains risquent leur vie pour atteindre l’Europe à la recherche d’une vie meilleure, d’autres préfèrent investir et créer des activités dans leur pays.

Mara Diouf, 28 ans, est de cette trempe de jeunes entrepreneurs qui, malgré les obstacles, réussissent à s’épanouir au pays par le biais de l’auto-emploi. Sur son lieu de travail, le jeune responsable d’un des tout premiers magasins multiservices en informatique du Sénégal se veut discret. S’il préfère taire le nom de son entreprise et celui de l’agence publique qui l’a soutenu, c’est pour éviter «les mauvaises langues et les envieux. » Des photopieuses en panne, des papiers jetés dans des poubelles, des cartouches d’imprimantes épuisées campent à l’entrée de la société de Mara Diouf.

Il se tient deboutdans son local, en face d’une imprimante qui lance des papiers en continu. Vêtu d’un pantalon kaki et d’une chemise noire, cet ancien candidat à l’émigration raconte son parcours le sourire aux lèvres. « En 2006 je voulais partir en Italie, comme beaucoup de Sénégalais à cette époque, mais ma famille m’a dissuadé. Commeje devaissubvenir aux besoins ma famille dont je suis le soutien, je me suislancé dans l’entreprenariat. J’airédigé un projet que j’ai déposé dans une structure d’accompagnement à Dakar. Celle-ci m’a financé à hauteur d’un million FCFA parce que mon idée était jugée rentable», raconte-t-il.

Avec ce prêt à rembourser, ses débuts sont difficiles car il lui faut en plus payer le loyer du local et acheter tout le matériel nécessaire. Pourtant, quatre mois d’activité plus tard,  l’année scolaire le début de l’année scolaire, les affaires ont vraiment commencé à marcher. « Je peux enregistrer un chiffre d’affaire de 25 000 FCFA par jour» se réjouit-il. Grâce à son succès, Mara conjugue maintenant au passé son désir de quitter le pays.

Nombreux sont les jeunes Sénégalais comme Mara Diouf qui ont bénéficié de financements  de projets  et de programmes, par l’intermédiaire des Organisations non gouvernementales (ONG) et de l’Etat. Le but de ces initiatives est de lutter contre le chômage, une des causes fondamentales de l’émigration. L’enjeu pour les autorités est désormais de pérenniser de tels dispositifs pour garantir la création durable d’activités économiques et d’emplois dans le pays.
Diène Ngom
« Rester et réussir »



MOHAMED ABDALLAH Ly CHERCHEUR SOCIO- LINGUISTE A L’IFAN « migrer est nécessaire à tout homme »

La mondialisation a diversifié et intensité les déplacements de population sur la planète à partir des années 80. Le chercheur Mohamed Abdallah Ly porte son regard de linguiste et de sociologue pour décrypter le phénomène. 

Vous soutenez que le désir d’émigration n’est pas seulement lié à des raisons économiques. Que voulez-vous dire par là et quelles sont les autres causes de départ ?
Nous approchons souvent cette question en nous limitant à des motivations économiques, géopolitiques ou étudiantes. Malheureusement, nous ne nous  questionnons  pas assez sur les autres désirs, de nature plus anthropologique. 
Je me suis intéressée au désir qui habite la personne et la pousse à voir l’émigration comme une manière de se réaliser. Je pense à ce jeune sénégalais. Il racontait que rester au Sénégal, c’était rester un individu en puissance, non encore épanoui dans sa plénitude. C’est en voyageant, et en découvrant un  autre vécu, en rencontrant de nouvelles personnes, que nous captons en nous nos ressources et nos potentialités latentes et que nous nous réalisons finalement en tant qu’individu. En somme, les gens migrent pour apprendre, se réaliser, s’enrichir etc.
A ce sujet, il est important de noter est que les pays européens établissent des politiques sécuritaires très dures mais ils développent en même temps des stratégies qui permettent à leurs étudiants de parcourir le monde. C’est la preuve que la migration est nécessaire à tout homme, quelle que soit ses origines.
Quel regard portez-vous sur l’émigration ?
Pour vous répondre, je pourrais analyser mon propre parcours de Sénégalais qui est allé en France pour y faire toutes ses humanités, son cursus académique. Je suis parti en 1996 et jusqu’en 2000, je pouvais faire une narration positive de ce parcours. J’ai appris à aimer mon pays et l’Afrique d’une manière générale. L’émigration m’a permis de découvrir le monde par la rencontre de personnes venues de tous les coins de la planète.
Mais à partir des années 2000, de nouveaux événements interviennent. Il se produit une « droitisation » en France avec l’arrivée de Jean Marie Le Pen au second tour de l’élection présidentielle française. Les émigrés ont subi de plein fouet cette droitisation. S’y ajoute les attentats du 11 Septembre 2001 aux Etats-Unis. A partir de ce moment, une méfiance des étrangers a commencé à s’exprimer dans certains milieux médiatiques, politiques ou de la société, qui se traduisait dans les difficultés pour les immigrés à trouver un logement, par exemple, ou dans des scènes de la vie quotidienne tout simplement.

Ce climat de tension en décourage-t-il  certains d’émigrer ?
A mes yeux, le désir de partir est toujours vivant, et plus fort que les crises économiques en Europe et les politiques sécuritaires qui peuvent constituer des obstacles à cette migration humaine. Rappelez-vous, à la fin de l’année nous avons vu des files d’attente interminables devant les ambassades et les structures officielles pour déposer des demandes de visas.

La migration Nord-Sud est plus connue alors que les déplacements Sud-Sud sont plus importants, pourquoi ?
C’est la surmédiatisation et la politisation qui sont en cause. En Europe, la tournure droitière de certaines politiques ou d’un certain nombre de programmes électoraux mettent l’accent sur ce qu’ils appellent un danger migratoire. Même la question de l’islam qui s’installe au Nord et qui fait polémique. Au Sud aussi, certains acteurs politiques et de la société civile ont tendance à criminaliser ou à stigmatiser la migration. Ils cherchent à capter des fonds pour mener des actions de sensibilisation et amener certains jeunes à rester. Il faut aussi souligner que la migration sud-sud  est moins contestée par les pays d’accueil, elle fait donc moins parler d’elle.