La mondialisation a diversifié et intensité les déplacements de population sur la planète à partir des années 80. Le chercheur Mohamed Abdallah Ly porte son regard de linguiste et de sociologue pour décrypter le phénomène.
Vous soutenez que le désir d’émigration n’est pas seulement lié à des
raisons économiques. Que voulez-vous dire par là et quelles sont les autres
causes de départ ?
Nous approchons souvent cette
question en nous limitant à des motivations économiques, géopolitiques ou
étudiantes. Malheureusement, nous ne nous
questionnons pas assez sur les
autres désirs, de nature plus anthropologique.
Je me suis intéressée au désir
qui habite la personne et la pousse à voir l’émigration comme une manière de se
réaliser. Je pense à ce jeune sénégalais. Il racontait que rester au Sénégal,
c’était rester un individu en puissance, non encore épanoui dans sa plénitude.
C’est en voyageant, et en découvrant un
autre vécu, en rencontrant de nouvelles personnes, que nous captons en
nous nos ressources et nos potentialités latentes et que nous nous réalisons
finalement en tant qu’individu. En somme, les gens migrent pour apprendre, se
réaliser, s’enrichir etc.
A ce sujet, il est important de
noter est que les pays européens établissent des politiques sécuritaires très
dures mais ils développent en même temps des stratégies qui permettent à leurs
étudiants de parcourir le monde. C’est la preuve que la migration est
nécessaire à tout homme, quelle que soit ses origines.
Quel regard portez-vous sur l’émigration ?
Pour vous répondre, je pourrais
analyser mon propre parcours de Sénégalais qui est allé en France pour y faire
toutes ses humanités, son cursus académique. Je suis parti en 1996 et jusqu’en
2000, je pouvais faire une narration positive de ce parcours. J’ai appris à
aimer mon pays et l’Afrique d’une manière générale. L’émigration m’a permis de
découvrir le monde par la rencontre de personnes venues de tous les coins de la
planète.
Mais à partir des années 2000, de
nouveaux événements interviennent. Il se produit une « droitisation »
en France avec l’arrivée de Jean Marie Le Pen au second tour de l’élection
présidentielle française. Les émigrés ont subi de plein fouet cette
droitisation. S’y ajoute les attentats du 11 Septembre 2001 aux Etats-Unis. A
partir de ce moment, une méfiance des étrangers a commencé à s’exprimer dans
certains milieux médiatiques, politiques ou de la société, qui se traduisait
dans les difficultés pour les immigrés à trouver un logement, par exemple, ou
dans des scènes de la vie quotidienne tout simplement.
Ce climat de tension en décourage-t-il
certains d’émigrer ?
A mes yeux, le désir de partir
est toujours vivant, et plus fort que les crises économiques en Europe et les
politiques sécuritaires qui peuvent constituer des obstacles à cette migration
humaine. Rappelez-vous, à la fin de l’année nous avons vu des files d’attente
interminables devant les ambassades et les structures officielles pour déposer
des demandes de visas.
La migration Nord-Sud est plus connue alors que les déplacements
Sud-Sud sont plus importants, pourquoi ?
C’est la surmédiatisation et la
politisation qui sont en cause. En Europe, la tournure droitière de certaines
politiques ou d’un certain nombre de programmes électoraux mettent l’accent sur
ce qu’ils appellent un danger migratoire. Même la question de l’islam qui
s’installe au Nord et qui fait polémique. Au Sud aussi, certains acteurs
politiques et de la société civile ont tendance à criminaliser ou à stigmatiser
la migration. Ils cherchent à capter des fonds pour mener des actions de
sensibilisation et amener certains jeunes à rester. Il faut aussi souligner que
la migration sud-sud est moins contestée
par les pays d’accueil, elle fait donc moins parler d’elle.
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